Soleil, si tu voulais, nous parler de tes frères
De la rouge Antarès, du géant bleu Rigel
Des mondes que réchauffent ces diamants éternels
Soleil, si tu voulais nous parler de nos frères…
— Sagittaires : belle journée aujourd’hui, votre ciel est dégagé et c’est le moment d’en profiter !
— Capricorne… Vénus se trouve dans les parages et annonce un temps léger. Regardez autour de vous, le monde est beau et ne demande qu’à bouger au rythme de vos envies !
— Pour les Verseau, la journée est favorable aux rencontres. Petit « verseaulitaire » va-t-elle rencontrer son âme sœur ?
— Poisson… Vous allez aimer nager dans votre aquarium aujourd’hui : Neptune vous rend visite pour faire la fête !
Aujourd’hui, c’est vendredi, alors Hanna a décidé de teinter l’horoscope de notes festives et d’un peu d’humour. Toute spécialiste des sciences et arts divinatoires qu’elle soit, elle n’a jamais considéré l’interprétation de la carte du ciel comme une science exacte. Plutôt comme un guide, qui donne de grandes lignes autour desquelles les animatrices radio, et a fortiori les auditeurs restent relativement libres de s’exprimer. Les regarder sous l’angle d’un sentiment particulier permet de les orienter dans une direction qui nous convient davantage. Pleine d’entrain aujourd’hui, Hanna s’est confiée une mission : proposer à ses auditeurs de saupoudrer leur week-end de fines particules d’insouciance et d’espoir, car elle soupçonne que certains d’entre eux en manquent singulièrement.
Depuis sa plus tendre enfance, sans qu’elle ne sache réellement pourquoi, elle avait toujours adoré ce qui avait trait à l’astrologie, porté une attention particulière aux chiffres qui comptaient dans sa vie. Elle était née un 4 avril en Loire-Atlantique, alors le numéro 4 figurait bien sûr parmi ses chiffres préférés. Tous les 4e jours du mois, elle ressentait une espèce d’euphorie, une énergie positive qui la portait et rendait tout plus beau. C’est par exemple, lors d’un après-midi magique de fin d’été, un 4 septembre, qu’elle avait goûté à Nice, sur la place Rosetti, son premier sorbet pamplemousse. Un 4 décembre encore que cette adorable petite boule de poil était venue gratter à sa fenêtre. Un pauvre petit chat gris abandonné au ventre vide qui miaulait qu’il aurait volontiers troqué son statut d’âme errante avec celui de bouillotte officielle, si elle voulait bien lui ouvrir ? Ceux qui privilégiaient la thèse de la simple coïncidence devaient certainement porter des œillères. Martin lui avait apporté du soleil en hiver, et cette chaleur ne l’avait plus jamais quittée.
Instinctivement, inconsciemment, elle avait fini par attacher une importance particulière aux événements qui lui arrivaient les 4, 14 ou 24... Ou comment on en vient à adorer Noël...
De la même manière, elle voyait les roulottes des diseuses de bonne aventure comme un refuge protecteur, une source de vie régénérante. Elle repartait toujours avec ce qu’elle était venue chercher : un conseil, une mise en garde, un élément de son destin dont elle n’avait qu’une demi-conscience et qui ne demandait qu’à se réaliser. De la potion de vie, en quelque sorte.
Elle n’avait jamais cru que les prédictions qu’elle y entendait pouvait constituer les éléments immuables de sa trajectoire, seulement des étapes qui se réaliseraient à coup sûr si elle ne donnait aucune inflexion particulière à sa vie. Une rencontre ? Elle en faisait tous les jours, il suffisait d’un sourire, d’un instant de folle témérité pour entrer en contact avec un voisin. La perte d’un être cher ? Tout le monde s’en va, un jour ou l’autre, et parfois sans préavis. Ce n’était que la Vie qu’on lui annonçait, rien de spécial, rien d’extraordinaire, mais on a parfois besoin de piqûres de rappel pour se souvenir qu’il faut la retenir au creux des doigts, la boire par petite gorgée, la savourer tant qu’elle est là. Cela la replaçait en face des fondamentaux de cette existence, lui rappelait combien faire attention aux êtres chers à son cœur, profiter de chaque instant vécu à leur côté devait s’ériger en priorité. Puisqu’un jour, ils partiraient.
On a tous une part de responsabilité dans les événements qui nous arrivent, et les prophéties des cartomanciennes, les horoscopes, Nostradamus, n’existent que pour nous le rappeler. Hanna soutiendrait même que la vie finalement pouvait s’analyser comme cette série de choix qui avaient conduit un être à l’endroit où il se trouvait aujourd’hui. On a tous, toujours le choix.
Bien sûr, chacun de nos semblables, par ses choix propres, nous impose des contraintes avec lesquelles il faut composer, et tout cela s’avère joyeusement évolutif, mais, oui, globalement, on a tous toujours le choix entre plusieurs alternatives.
Pour simplifier, on pouvait dire qu’Hanna avait postulé à cet emploi à la radio, animatrice de la chronique horoscope de l’émission matinale d’une grande antenne, afin de transmettre ce message au plus grand nombre.
La bonne humeur d’Hanna s’était rapidement révélée communicative et on aménagea bientôt la grille de programmes pour y placer sa propre émission.
— C’est vendredi, un week-end se présente à vous : en l’abordant avec envie et enthousiasme, en le vivant pleinement, il résonnera longtemps dans votre cœur. Alors, oui, profitez, qui la présence de Venus, qui de celle de Neptune dans votre constellation fétiche. Souriez !
Hannah prit une grande inspiration et garda un moment l’air dans ses poumons, pour profiter un maximum de ses bienfaits. Puis après une lente expiration, elle reprit
— Voilà mes chers auditeurs, c’était l’horoscope de ce vendredi 4 mai, je vous souhaite à tous et à toutes, un excellent week-end, et vous retrouverai avec plaisir lundi, dès 8 heures !